RANDO LITTERAIRE A NIOZELLES
Vendredi 14 Juin 2024
Nous nous retrouvons au village de Niozelles pour une petite balade, nous sommes une dizaine à partir pour parcourir quelques sentiers au cours desquels Jany va nous conter des passages du livre d’Albert Cotte « La vie de ceux d’avant ne doit pas s’oublier – Souvenirs d’un simple paysan de la Vallée de l’Asse suivis d’une Contribution au glossaire du français parlé en Vallée de l’Asse ».
Du village perdu du Poil, dans les Préalpes de Digne, où il est né, au domaine de Sargan dans la moyenne vallée de l’Asse, Albert Cotte (1907-1992) a vécu l’abandon de terres trop pauvres et la reconversion des paysans des zones de montagne sèche. Ce livre, Albert Cotte l’a longuement muri et préparé avec Pierre Martel, à partir de ses souvenirs qu’il avait écrits, d’entretiens oraux et de questions croisées qu’eurent les deux hommes.
Par les sentiers ombilicaux déroulés sur le ventre des montagnes nourricières, le marcheur peut encore sentir aujourd’hui les dernières pulsations d’un village abandonné de longue date. Le Poil est un village perché à 1220 mètres d’altitude, dans une position très pittoresque, planté tel un « pieu » [Lou Péu en provençal] dans le long rocher hérissé en crête, dans les Préalpes de Digne, se trouve à une superbe croisée des chemins, grande ouverte sur des lieux magnétiques.
C’est ici qu’Albert Cotte (1907-1992) est né. Son livre est un témoignage construit sur plusieurs hivers, mémoire dévidée puis travaillée avec des mots simples et touchants, regroupés, organisés, peaufinés, agrémentés de croquis, de photographies en noir et blanc, de cartes postales anciennes, de cartes topographiques, de fragments d’entretiens. Un glossaire franco provençal complète utilement l’ouvrage. Construits chronologiquement, les souvenirs sont amenés en surface avec bonheur, sincérité et humilité : «je n’ai été qu’un homme des plus ordinaires, un simple paysan de la vallée de l’Asse… ». En dépit d’une présentation vieillotte, d’un titre à rallonge, d’une couverture peu engageante, le lecteur sent et sait qu’il tient une somme entre les mains, un passé définitivement révolu qui vibre à nouveau par le pouvoir des mots. Dès la première ligne, on est happé, ému, éduqué à la vie besogneuse d’antan. Albert Cotte le dit : «la vie était dure… on ne se posait pas de questions et on était heureux ‘comme ça venait’. » Après une présentation succincte mais indispensable de son village, Albert Cotte s’attarde sur la maison familiale. Le lecteur entre de plain-pied dans la vie ample et rustique « de ceux d’avant ». Des croquis faits de mémoire donnent une idée de l’aménagement intérieur et de l’imbrication intelligente des hommes et des bêtes. L’enfance, l’école communale avec Mlle Chabaud, le catéchisme et l’époque des « matefaims » [grosses crêpes aux lardons] et de la « casseille » [fromage fondu] s’incarnent sous les yeux incrédules du lecteur. Les fromages de chèvre sont d’abord couverts de vers sauteurs [les saùtaïres] : « On les entendait taper au couvercle de la marmite ! Un mois après, la vermine avait disparu. On pouvait alors faire des tartines que l’on grillait un peu à la braise de la cheminée. On se régalait. » Il est évidemment impossible de recenser ici tous les étonnements, les enchantements, les quelques irritations (Albert Cotte est chasseur) et la mélancolie que le texte procure. Il faut lire le splendide portrait du colporteur Théodore : « Personne ne ferait plus aujourd’hui ce qu’il faisait : 6, 7 ou 8 km à pied avec 70 kilos sur le dos ; tout ça pour vendre quelques aiguilles ou quelques malheureux lacets. » ou encore celui, non moins extraordinaire d’Emile Chauvet, le maréchal ferrant. Les histoires de chasse sont étonnantes. Elles parlent d’hommes en intelligence avec la nature, pisteurs hors pairs, observateurs finauds, connaisseurs sensibles des animaux et de leurs comportements. Avec l’installation de la famille Cotte dans la vallée de l’Asse, le lecteur perçoit les transformations qui vont révolutionner l’agro pastoralisme des milieux montagnards et saisit la perte progressive d’une nature généreuse (la lavande sauvage pousse à foison ; les lapins et les lièvres abondent). Rien de nostalgique dans les mémoires d’Albert Cotte ! Parfois, l’œil et l’esprit de l’homme se conjuguent à la beauté émouvante de la nature et cela donne le curieux témoignage intitulé Les lapins qui font de la musique : « La mère se dresse haut sur ses pattes, chacun des petits se suspend à une de ses mamelles et la musique commence. Cela ne peut se décrire, toutes ces langues qui claquettent et tous ces petits corps soyeux qui dansent… » le seul petit regret, en refermant le précieux livre, aura été de ne pas connaître davantage les parents d’Albert Cotte ou encore sa femme, Lucie, née Hermellin. Il est probable que les regards croisés de ces hommes et femmes « de peu », « bien campés sur leurs jambes », auraient considérablement enrichis le travail de mémoire essentiel du « simple » paysan de Sargan.
Le corbeau, lui ne cache rien. Il avale tout aussitôt. Au moment des noix, il faut le voir faire : il vient choisir une noix, pas véreuse de préférence, s’en va deux cents mètres plus bas, au-dessus de l’Asse et là, il lâche la noix qui va se briser sur les galets, et il redescend alors la manger. Si par hasard elle ne s’est pas cassée, il recommence. SI vous passez dans les environs à cette saison, vous trouverez sûrement des coquilles.
C’est beau la nature quand on prend le temps de la regarder, quand on remarque l’intelligence et l’odorat de certains animaux. Mais on n’a peut-être pas assez réfléchi aux liens qu’ils avaient entre eux et avec nous. C’est vrai des animaux domestiques, mais c’est vrai aussi des oiseaux, des abeilles, et sans doute de tous les animaux sauvages. D’ailleurs on peut se demander s’il en restera beaucoup.
Quelques extraits du livre qui nous donnent à réfléchir sur la curiosité et l’observation des gens de cette époque. Un bonheur simple que nous ne connaissons plus et qui mériterais d’être retrouvé.
Après avoir dégusté tous ces textes pleins d’émotions et de nostalgie sur ce passé que nous ne connaitrons pas, nous nous sommes retrouvés au bistrot de pays de Niozelles pour savourer un excellent couscous en agréable compagnie. Un autre moment de bonheur différent de celui du matin mais que nous avons pleinement apprécié.
Merci Jany pour cette merveilleuse journée où nous avons nourri notre corps et notre esprit au milieu d’une belle nature. Peu de km, peu de dénivelé mais beaucoup de paysage ravissant.
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